Historique de la bibliothèque de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale

Le projet fondateur de la Société, à l’automne de 1801, incluait en bonne place, la diffusion « des lumières de l’instruction », selon les mots d’un des fondateurs, Joseph de Gérando.

Pour y parvenir, la Société naissante tentera de créer une bibliothèque, conçue comme un centre de documentation, mais il faudra attendre plus de quatre-vingt ans pour que le projet se concrétise réellement, avec une bibliothèque active, finalement ouverte en 1890 Cette bibliothèque, conçue comme un des grands centres de documentation scientifique et technique de l’époque, a joué un rôle considérable jusqu’aux lendemains de la Première guerre mondiale.

Son activité déclinera dans l’Entre-deux-guerres, en raison des contraintes financières, puis elle cessera progressivement de fonctionner après la Seconde guerre mondiale, quand le réaménagement des salles aura raison de son existence.

Ce projet logique a donc eu une histoire complexe.

Jusqu’aux années 1880, un projet qui n’aboutit pas

Le projet d’une « salle de lecture » remonte aux première semaines de fonctionnement de la Société : le conseil avait décidé, à l’initiative de Charles de Lasteyrie, un des ses fondateurs, de s’abonner aux principales revues techniques françaises et étrangères - de pratiquer la veille technologique, dirions-nous aujourd’hui - ; le local de la Société devait également conserver les manuscrits ou les imprimés qui lui seraient soumis pour examen, ainsi que les rapports des comités; on devait aussi y trouver la collection de machines, modèles, produits et échantillons envoyés dans le cadre des concours. Toute cette documentation, montrée, imprimée ou manuscrite, devait être accessible de manière régulière aux sociétaires, pour qu’ils puissent se tenir au fait des innovations les plus récentes et des avis du conseil. Le local devait donc être ouvert de manière régulière sous la responsabilité d’un employé. L’expérience cesse rapidement : le conseil se range, en 1802, à l’avis d’un de ses membres, Pyramus de Candolle, qui estimait que la seule manière de diffuser l’innovation pour une société qui se voulait nationale, était de publier un bulletin pour ses sociétaires. Ce Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, publié à partir de l’automne 1802 sera publié sans interruption jusqu’en 1943, et restera le principal moyen d’expression de la Société. Dès lors, le local ne sera plus qu’un lieu de dépôt pour les documents de toutes sortes envoyés à la Société, et qui pouvaient servir aux travaux des comités comme au rédacteur du bulletin, avant d’être stockés de manière plus ou moins ordonnée dans des armoires et les placards.

Les propositions faites par la suite, en 1824 et en 1836 notamment, par certains dirigeants, notamment des universitaires, qui estimaient qu’une véritable bibliothèque, bien rangée et inventoriée, était utile pour préparer leurs rapports et leurs projets de concours, resteront sans suite. La majorité des dirigeants estimait en effet que la Société devait se concentrer sur son objet social, qui était la distribution de récompenses, la diffusion de l’information étant assurée par le bulletin ; par ailleurs, tant que la Société était locataire de son local, il semblait exclu de consentir des frais d’aménagement de ce dernier.
Ce second argument ne tiendra plus, lorsqu’en 1852, la Société s’installe dans l’hôtel actuel qu’elle avait fait construire près de l’église Saint-Germain-des-Prés, à l’initiative de son président, Jean-Baptiste Dumas. Ce local possédait en effet des espaces suffisamment importants pour qu’on puisse enfin ranger les ouvrages qui s’étaient empilés en nombre croissant depuis des décennies : à l’étage, la grande salle des séances, -l’actuelle salle Lumière - possédait des rayonnages vitrés où les ouvrages reliés étaient exposés. On pouvait également utiliser de nouveaux espaces pour renouer avec la tentative initiale de montre des machines et modèles, produits et échantillons : la grande salle du rez-de-chaussée – l’actuelle salle Chaptal – dotée sur un de ses côtés d’une galerie, avait été prévue à cette fin. En 1864-1866, Dumas, mettant en avant la fonction documentaire, la fait convertir en bibliothèque, dotée de chaises et de tables; on nomme aussi un bibliothécaire chargé d’entreprendre un catalogage du fonds.

Mais très rapidement, cette tentative avorte: les dirigeants avaient sans doute surestimé l’ampleur de la tâche et le bibliothécaire avait par ailleurs d’autres activités plus absorbantes dans l’hôtel; on préférera valoriser l’innovation par un renforcement quantitatif et qualitatif du bulletin, ainsi que par l’organisation de conférences sur de grands thèmes scientifiques et techniques. Dès 1868, la salle du rez-de-chaussée était louée à la Société de chimique de Paris qui y tenait ses séances et créait sa propre bibliothèque. L’agrandissement, en 1873, de l’hôtel par la création des locaux en façade de la rue de Rennes, l’actuelle place Saint-Germain-des-Prés, n’entraînera qu’une simple augmentation du linéaire de rangement, nécessaire pour la rédaction

Des années 1880 à la fin de la Première Guerre mondiale : une bibliothèque remarquable à son apogée

Après la disparition de Jean-Baptiste Dumas en 1884, les dirigeants, à commencer par le nouveau président, Edouard Becquerel, mais aussi des personnalités comme Adolphe Carnot, Charles Rossigneux ou Hippolyte Sebert, souvent ingénieurs issus des Grandes Ecoles, attachent une importance toute particulière à la fonction de centre de documentation, à une période où les techniques évoluaient en devenant de plus en plus complexes, et où l’industrie française devait soutenir une concurrence internationale croissante. La Société, qui possédait une réserve foncière à l’angle de la rue de l’Abbaye – l’actuelle rue Guillaume Apollinaire -, et de la rue Saint-Benoît, fait édifier, entre 1885 et 1886, un nouveau bâtiment avec une bibliothèque sur deux niveaux, un niveau bas destiné aux ouvrages, et une galerie destinée aux périodiques. Les possibilités de rangement seront encore accrues ultérieurement par l’aménagement de l’antichambre de la salle des séances, l’actuelle salle Montgolfier, en 1899, et par celui de la salle des comités, l’actuelle salle des Trois Consuls, afin de pouvoir ranger des périodiques.

La volonté des dirigeants était avant tout de créer une bibliothèque aménagée spécialement, dotée d’un inventaire, et gérée, pour la première fois, par un personnel spécialisé. La mise en place sera longue, parce qu’il fallait classer et cataloguer tous les ouvrages et pièces accumulés depuis la création de la Société : on en recensait près de 13000 en 1890, année où la bibliothèque sera enfin ouverte; il faudra faire le même travail pour les collections de périodiques.

Cette bibliothèque, dont le fonds va s’accroître rapidement par envoi d’ouvrages ou de pièces pour comptes rendus, et par échange du bulletin avec les principales revues techniques et scientifiques françaises et étrangères, finit par compter en 1914 près de 27000 ouvrages ou pièces et plus de 300 collections de périodiques, sans compter les collections des Sociétés de chimie (SCF) et de physique (SFP), cette dernière étant installée dans la grande salle du rez-de-chaussée. Ouverte tous les après-midis en semaine, la bibliothèque était devenue, conformément aux souhaits de ses promoteurs, un des principaux centres de documentation « industrielle » parisiens, comme les bibliothèques du Conservatoire des Arts et Métiers, des Grandes Ecoles ou de la Société des Ingénieurs civils. Accessible aux non-sociétaires, elle accueillait près de 3000 lecteurs annuels, élèves de ces Grandes Ecoles, ingénieurs, entrepreneurs, journalistes spécialisés, venus consulter une documentation parfois introuvable ailleurs, comme les grands périodiques techniques allemands ou américains.

Mais sa fonction était plus large : pour les dirigeants de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, comme le président Henry le Chatelier, elle devait être le coeur d’un dispositif, financé par la Société, de valorisation des grandes découvertes scientifiques susceptibles de retombées techniques, comme des applications industrielles de ces avancées. Elle sert alors de lieu de « veille documentaire » et de production de bibliographies analytiques destinées à l’information des chercheurs, publiées soit dans le Bulletin, soit dans des revues spécialisées éditées sous son contrôle, comme la Revue de mécanique de son secrétaire général Gustave Richard, et la Revue de métallurgie. Les bibliothécaires devaient donc être des personnes hautement spécialisées : après le départ du premier d’entre eux, jugé trop peu compétent et trop peu impliqué, la Société nomme à ce poste en 1904, un spécialiste de la bibliographie de chimie, Jules Garçon, devenu l’animateur de la bibliothèque à la Belle Epoque. La guerre renforce le rôle de centre de documentation où il était possible de consulter une littérature technique étrangère – notamment germanique – devenue difficile à trouver ; la Société voulait en effet soutenir l’effort de guerre, en incitant les industriels à fabriquer des produits auparavant importés ; elle mettait à leur disposition dans sa bibliothèque les savoirs scientifiques et techniques nécessaires, parallèlement à l’organisation d’expositions de produits industriels.

Des années Trente aux années Soixante du XXème siècle, un déclin de plus en plus marqué, jusqu’à la mise en sommeil

Dans l’immédiat après-guerre, forte de l’influence de ses dirigeants, de son réseau de sociétaires, et de l’importance des activités qu’elle soutenait, comme la diffusion de l’organisation rationnelle, grâce à des noms comme Henry le Chatelier, Charles de Fréminville ou Edouard Michelin, la Société est à son apogée,. Elle connaît néanmoins de sérieuses difficultés financières qui l’affaiblissent progressivement, surtout dans les années Trente, et qui conduisent à une diminution de son activité et de son influence. La bibliothèque subit le contrecoup de ces difficultés : le bibliothécaire professionnel est remplacé par un agent, les envois de livres diminuent de même que les échanges de périodiques, qu’il faut désormais acheter, pour maintenir une documentation à jour, avec des crédits de moins en moins importants. La fréquentation chute, la parution des bibliographies analytiques spécialisées cesse, seule la publication et la tenue à jour du catalogue des périodiques permettent de conserver un outil nécessaire à la majorité des lecteurs. La fermeture de la bibliothèque est décidée au début de la Seconde Guerre mondiale, faute de personnel.

Après 1945 la Société, désireuse de relancer ses activités va rouvrir sa bibliothèque, solliciter l’envoi d’ouvrages et de périodiques, et reprendre la publication de notes de lecture. Cet élan cesse rapidement, par manque, semble-t-il, de moyens, et sans doute parce que sa nouvelle publication, L’Industrie nationale, ne comportait pas, faute de personnel de rédaction spécialisé, d’articles originaux ni de bibliographies analytiques dont les documents reçus auraient pu être la matière. Cessant d’être un centre de documentation scientifique et technique actif, la bibliothèque perd une grande part de son attractivité. Les difficultés financières liées à la très forte inflation des années Cinquante obligeront la Société à pratiquer des locations de longue durée qui conduiront à la réappropriation des locaux. Les rayonnages de la grande salle du rez-de-chaussée sont démontés au début des années Cinquante, puis c’est au tour de ceux de la grande salle des séances,. Enfin, à une date que nous ne connaissons pas, le local de la bibliothèque subit la perte de son fichier d’inventaire des ouvrages, ce qui en empêche alors toute possibilité de fonctionnement normal.


Daniel Blouin, avec la collaboration de Serge Benoit, Jean-Yves Dupont (+) et Gérard Emptoz,
Commission d’histoire de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale
16 novembre 2014